Donner confiance à la société (à propos d’Abus de pouvoir de F. Bayrou)

Avec Abus de pouvoir François Bayrou a souhaité prendre date et jetter les jalons d’une alternative aussi ambitieuse que courageuse : donner confiance à la société.  Un livre d’avance bien sûr en ce sens où il esquisse cette alternative, proposer un autre chemin est de tout temps la meilleure façon de dire non. Certes dans ces pages François Bayrou est un homme en colère mais il s’agit de légitime défense. François Bayrou y dresse autant un plaidoyer pour une réforme de la République (au sens où il l’indique à savoir retour à sa forme initiale) qu’il ne dresse un réquisitoire du sarkosysme.  Enfin, les jalons posés pour cette alternative sont et vont, par essence et à notre sens, bien plus loin que l’horizon 2012 ou 2017 pour  lesquels on prête à l’auteur de l’ambition? Fort heureusement pour nous il en a d’autres pour le MoDem, pour la France et pour l’Europe.

Abus de pouvoir est un livre de légitime défense.

Ni pamphlet, ni brûlot et encore moins livre « haineux » Monsieur Bertrand, Abus de pouvoir est un livre d’un homme en colère, en colère comme Henri Fonda jouant le rôle titre de 12 hommes en colère (film de Sidney Lumet), en colère contre une opération de dénaturation de la France, de la société française.

Abus de pouvoir est un livre qui prend, arme de la culture à la main, la légitime défense du génie français qui a fait que la France est la France, à la fois parfois si désespérante, mais toujours autant espérons le, Lumière pour le monde (voir le titre du supplément des Echos de jeudi « trop français Obama? »). C’est un livre pour dire calmement à Nicolas Sarkosy qu' »un petit conseiller municipal de Pau » (la phrase serait de lui) peut « aimer la France » et oser en prendre la défense.
En effet, avec ses mots à lui, François Bayrou illustre la formulation de Renan « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, a vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis » (E. Renan Qu’est-ce qu’une nation? Paris Presses Pocket, 1992 p. 54). Il affirme que l’action du pouvoir actuel ne respecte ni le « legs de souvenirs » consolidé que sont les fondements républicains qui structurent notre espace public, ni « le désir de vivre ensemble » en cherchant davantage à opposer les français qu’à les rassembler. Evidemment cela ne peut pas plaire au secrétaire général de l’UMP.

Abus de pouvoir est  un livre qui oppose  une saine colère contre une façon de concevoir la politique qui autoriserait tout à celui qui est devenu Président de la République, avec talent (reconnu à plusieur reprises) sans doute mais pas seulement, s’écarte de son mandat pour se « réaliser » en hyper président et se sert de la position conquise pour réaliser une captation générale des principaux pouvoirs notamment économiques pour lui et son réseau,  au lieu de servir ses concitoyens !  Ce détricotage des fondements de la République française par Nicolas Sarkosy sans mandat reçu du Peuple pour se faire est la thèse centrale du livre. François Bayrou avance, de nombreux éléments de preuve à l’appui, que cela fait système et qu’il s’agit de l’idéologie du pouvoir actuel.

Abus de pouvoir est un ouvrage qui prend la légitime défense de la fonction de Président de la République. Nous pourrions mettre au crédit de Nicolas Sarkosy de faire preuve de volontarisme (72 lois en 20 mois) pour réhabiliter le politique et se distinguer ainsi d’un « roi fainéant » (au passage en matière de haine Monsieur Bertrand François Bayrou est un petit garçon). Mais présider aux destinées de la France celà n’est pas comme le montre François Bayrou cadencer son action, ni l’orienter en fonction des unes du journal de 20H de TF1, et encore moins de nommer et licencier les journalistes de ladite chaine c’est « (…) c’est d’abord de donner à un peuple des raisons de vivre… ». C’est notamment ce qu’a compris Barack Obama avec « yes WE can » ce qui se différencie fortement du « yes I can » de Nicolas Sarkosy. Le chapitre III intitulé « L’hyper » montre à quel point la France n’a pas besoin d’un Président constamment en surrégime, d’un surhomme mais « Il a besoin d’un président de confiance, non pas excité tous les jours, mais tous les jours attentif. Attentif aux temps, aux hommes, aux temps et aux signes des temps ». François Bayrou dit que la France a besoin d’un président qui permette à la démocratie de s’approfondir : »Je crois que le soutien des peuples, leur compréhension, leurs adhésion ne sont pas requis une fois tous les cinq ans, mais tous les jours de toutes les crises, de toutes les périodes faciles ou difficiles. Une seule chose est précieuse : le lien civique qui unit les responsables au pouvoir, au citoyen qui le leur a confié ». Les causeries au coin du feu de Mendes France ou de Roosevelt n’avaient pas d’autre fonction que de tisser et d’entretenir ce lien » (pp. 56-57).

Abus de pouvoir assure la légitime défense de la société française. « Il est vain et dangereux de vouloir, de force, faire de la France autre chose que la France » (p. 61). Il est absolument nécessaire de re-former la France (voir Chapitre IV Réformes le mot piégé), c’est-à-dire de lui redonner de l’allant, de la confiance en ses capacités et à son génie propre. Mais assure François Bayrou, ceci ne peut se faire sans connaissance de son histoire et, citant Montesquieu, sans tenir compte de « l’esprit général d’une nation ».

François Bayrou craint d’être pessimiste quand aux dégâts opérés par l’actuel pouvoir qui malmène tant cet esprit de la nation, il ne faut pas pour autant être exagérément optimiste sur les capacités de notre Peuple à retrouver son génie propre si ne s’opère pas dans les années à venir une profonde révolution civique dans ce pays. Un numéro Hors série de la revue Cités (2002) titrant « La France et ses démons, Radioscopie des passions françaises » en avait listé 11 : le démon de l’exception, le démon de la révolution, le démon de l’étatisme, le démon du monarchisme, le démon du populisme, le démon de l’extrême droite, le démon de l’anti-américanisme, le démon des médias, le démon des honneurs, le démon du moralisme, le démon de l’antisémitisme. Et les coordinateurs de ce dossier d’indiquer (p. 13) « Nos démons sont distincts des problèmes politiques, qui s’inscrivent plus justement dans la délibération démocratique : l’écologie, la construction de l’Europe, la mondialisation par exemple ne sont à aucun titre des fantasmes, des obsessions, des points de fixation qui suscitent l’amour ou la haine en leur qualité de butoirs inconscients ». On voit bien combien ces propos sont hélas datés et combien imposer « la délibération démocratique » pour tout objet politique reste un combat. La réception de l’ouvrage de François Bayrou en est la vivante illustration : comment voir en effet dans un ouvrage aussi dense en contre-points pour une alternative (bien qu’utilement complétable par ceux de Jean-François Kahn et de Corinne Lepage notamment) un livre vide de propositions ?

Abus de pouvoir est un plaidoyer pour la réforme de la République et l’approfondissement de la démocratie.

« Livre haineux », pamphlet ou brûlot sont de pauvres mots pour éviter d’avoir à débattre du fond.

Abus de pouvoir propose une réforme de la République.

François Bayrou explique que « l’étymologie du mot réforme renvoie au latin reformare, dont la signification tournait autour de l’idée de « rendre à quelque chose sa forme première ». On voit que le mot renvoie au sentiment que le temps dénature des choses, les pervertit et qu’au fond, c’était mieux avant. » (pp. 68-69).

François Bayrou avance l’idée simple selon laquelle pour paraphraser un auteur américain au sujet de la démocratie « il faut guérir les maux de la République par plus de République » et non pas l’abandon en rase campagne de nos principes républicains. Et cela parce que, comme nous venons de le rappeler, cela correspond à l’esprit ou à l’âme de la Nation que l’Histoire a patiemment forgé, mais aussi parce que s’écarter de ce chemin « c’est de surcroît se condamner à l’impuissance » (p. 63) non parce que ce peuple est décidément ingouvernable, mais parce qu’il tient -espérons le- être gouverné selon les principes justes qu’il s’est donné.

Ces principes justes quels sont-ils ? Ils sont inscrits dans la Constitution : « La République est démocratique, laïque et sociale. » Ce que les français ont patiemment construit, François Bayrou propose d’en retrouver la forme originelle et de le corriger chaque fois que nécessaire car évidemment il n’est pas parfait :
« Nous voulons une société où le marchand soit à sa place, qui n’est pas négligeable, mais qui n’est pas universelle. Et nous voulons qu’on respecte ce qui n’est pas marchand. Et nous voulons croire à l’égalité, un jour, des citoyens devant la loi, devant l’école, devant la santé.
Nous prétendons que les services publiques doivent répondre à une exigence publique, définie par la loi et le débat démocratique, évaluée, bien sûr, dans ses résultats. Mais nous ne voulons pas qu’on réduise cette mission de services à la marketisation, comme ils disent ».
(p. 117)

Et au fil des chapitres François Bayrou plaide pour plus de République en ce qui concerne le système juridique et juridictionnel, les normes comptables, le modèle universitaire et de recherche,l’école, le travail du dimanche, etc…

Plus de République c’est plus d’égalité entre citoyens sans oublier pour ceux qui souhaiteraient le caricaturer un paléo-gauchiste qu’un citoyen pour un démocrate c’est selon la formule de Marc Sangnier : c’est un homme libre dont la conscience et la responsabilité civique sont portées au plus haut par la démocratie.  Plus de République c’est donc plus de civisme, c’est pour chaque citoyen davantage de conscience de ses devoirs envers tous et au service de l’intérêt général qu’autant que l’exercic de ses droits. Et il reste du travail à faire !!!!

C’est aussi la fin des passe droits et du règne de l’arbitraire au profit de puissants ou de supposés tels. C’est notamment refuser que les citoyens déboursent au mépris le plus total du droit 33 000 années de SMIC soit 460 millions d’euros à Monsieur Bernard Tapie dont on comprend à la lecture du Chapitre XI « L’affaire Tapie ou L’arbitraire » que François Bayrou va être plus que jamais pour lui, comme pour d’autre, l’homme à abattre.

Plus de République c’est plus de liberté pour les citoyens et leurs responsables. C’est plus de liberté pour les journalistes qui doivent être indépendants de l’Elysée et des puissants de toutes sortes afin de faire leur travail d’information des citoyens avec la déontologie qu’impose leur profession (cf Chapitre Les médias sous influence p. 169 et suivantes). Et François Bayrou de citer l’admirable phrase d’Annah Harendt publiée dans le New Yorker en 1967 : « La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-même qui font l’objet du débat » (p. 188)

C’est plus de liberté pour le Président de la République française dans la construction d’un monde multipolaire dans lequel l’Europe doit tenir un grand rôle pour l’équilibre et la paix. C’est pouvoir conserver y compris et surtout grâce aux symboles la capacité de non-alignement sur des décisions qui paraissent contraire à l’idée du rôle que la France -dans l’Europe- se fait du bien pour la planète (chap. VII L’idéologie OTAN p. 135 et suivantes, Condamnation de nos ambitions p. 151 au sujet de la crise en Géorgie).

Plus de République c’est plus de fraternité entre les citoyens français. C’est au terme d’un Chapitre IX portant sur la laïcité, si juste pour tout lecteur ayant quelques humanités, qu’il soit athée, agnostique ou croyant, que François Bayrou adresse un vibrant plaidoyer pour la fraternité en dénonçant la logique de l’affrontement : « Ce qu’ils cherchent c’est la logique de l’affrontement, parce que l’affrontement seul est source de passion, et que la passion fournit des bataillons d’électeurs. Si la logique est logique de guerre, un groupe contre un autre, une partie du pays contre l’autre, alors c’est la détestation qui prend le dessus et la détestation se vit éperdiquement, les yeux fermés. Et apporte beaucoup de voix… Le régressif est plus payant. Plus primaire ».  Nous saurons, ici où nous sommes partisans de « la France de toutes nos forces » rappeler ces paroles notamment lorsque nous aborderons l’ouvrage de Daniel Cohn-Bendit Que faire?. François Bayrou fait à plusieurs reprise appel à la sagesse comme vertu nécessaire au Président de la République, nous pensons qu’il a entièrement raison sur ce point. Un Président se doit d’être rassembleur.

Abus de pouvoir propose l’approfondissement de la démocratie.

« La démocratie ne force pas le peuple, elle le considère. Et la démocratie ne domine pas le peuple, elle l’organise et le représente. Elle souhaite son organisation en corps intermédiaires, indépendants, capables de médiation. Elle veut des citoyens libres et conscients. Elle se dresse contre tout abus de pouvoir, contre tout despotisme même verni ». (pp 91-92).

L’approfondissement de la démocratie est pour François Bayrou la condition de la réussite de la réforme de la République. C’est tout le sens du projet politique alternatif qui a fourni le titre de ce billet « Donner confiance à la société ». C’est ce qui apparait comme le ciment de l’autre chemin exposé en fin d’ouvrage (p. 253 et suivantes).

Cet autre chemin reste, et nous en sommes très satisfait dans le prolongement de l’intuition initiale fondatrice d’un MoDem que nous espérons toujours indépendant, de « la France de toutes nos forces », c’est à dire le contraire de l’égocratie incarnée par Nicolas Sarkosy.

Vous l’avez compris, loin d’être un pamphlet vide de propositions, avec cet ouvrage François Bayrou est dans la lignée de ceux qui pour savoir dire non proposent à leur concitoyens non pas uniquement un autre chemin, mais de tracer eux mêmes cet autre chemin.

Loin de la haine, c’est une déclaration d’amour « à la société, aux familles, à la démocratie locale, aux entreprises, aux associations » (p. 253). C’est une autre façon de faire du lien social une nouvelle frontière pour notre Peuple.

Nous y reviendrons dans un prochain billet.


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