L’éditeur et écrivain Jean-François Bouthors a publié dans le quotidien régional Ouest-France du 23 novembre, et sur son blog, un point de vue intitulé « L’identité se définit en marchant » qui me semble être une des plus belles réponses sur le fonds et la forme à l’utilisation électoraliste d’un thème auquel l’immense historien Fernand Braudel avait consacré deux tomes pour en définir les contours : l’identité nationale.
Voici ce texte :
« La France a-t-elle besoin de s’allonger sur le divan de l’identité nationale ? Gérard Larcher, président du Sénat, comparait récemment le débat voulu par le président de la République à une psychanalyse. Notre Marianne serait-elle malade ?
Une fois de plus, on ne peut que déplorer le décalage entre l’effervescence politico-médiatique et la réalité économique et sociale, et ses conséquences sur la vie des Français. Va-t-on consacrer autant d’énergie pour regarder la situation des cités ghettos où « rouillent » des jeunes sans avenir ? Ce sont ces problèmes réels qui font parfois douter les Français d’eux-mêmes.
En matière d’identité personnelle, on sait bien que la première des choses, c’est de remettre de l’ordre dans la maison, c’est-à-dire de commencer par régler les problèmes concrets. C’est ainsi qu’en général, s’apaisent les plus sombres états d’âmes. Dans cette confrontation au réel, les valeurs cessent d’être simplement de beaux discours dont on se gargarise : elles se traduisent dans des choix et des mises en oeuvre.
Dans ses aspects les plus profonds, l’identité se constate plus qu’elle ne se décrète. Pour nous Français, c’est un mélange subtil de terroirs, d’accents, d’usages et de dosages qui composent notre paysage mental et social, sans donner lieu à théorie. Si l’on veut en dire plus, on risque d’annexer des valeurs « universelles » qui sont les nôtres, mais sont partagées aussi par beaucoup d’autres, en Europe et au-delà. Quelle démocratie ne prétend pas combiner, à sa manière, l’égalité, la liberté et la fraternité ?
L’identité est aussi ¯ mais on évite souvent d’en parler ¯ l’héritage de blessures mal cicatrisées : le passé colonial, les défaites militaires et ces « passés qui ne passent pas », les vieilles traditions discutables, comme le centralisme ou l’esprit de caste qui demeurent encore ici ou là. Voire des mensonges collectifs comme notre capacité à nous prendre pour le centre du monde, notre penchant à la pensée unique, notre rapport complexé aux religions…
On aura sans doute raison de ne pas s’attaquer frontalement à ces caractères parfois figés, parce que l’identité nouvelle s’élabore en affrontant le présent, en se tournant vers l’avenir. Comme la marche se prouve en marchant.
La Cité nationale de l’histoire de l’immigration inaugurait, il y a peu, l’exposition « Générations », sur un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France. Le sourire et la fierté de tous ces Français venus du Maghreb, présents ce soir-là, heureux que leur soit faite une place dans la mémoire de notre pays dont ils ont épousé les valeurs, étaient beaux à voir. Ils disaient à quel point l’identité se trouve dans la rencontre ¯ parfois conflictuelle ¯ de l’autre, plus que dans un regard inquiet sur soi-même. »
Les termes ont été soulignés en gras par nos soins.