Sous le titre Une loi scandaleuse et ridicule, Jacques Attali dans son blog vise juste parce que ces critiques acerbes touchent les deux volets du projet de loi « Création et internet » qui fait à juste titre tant débat et soulève la polémique.
Au MoDem, mouvement qui a l’ambition de dépasser les réflexions sur le mode binaire qui feraient qu’on ne pourrait pas concilier protection des auteurs ET libertés publiques (voir ici MoDem parti du ET), on pourrait avoir un a-priori favorable par rapport aux intentions de ce texte…
Qui par exemple peut être contre la protection de la création artistique et la juste rémunération des auteurs pour leur talent et leur travail ? qui est pour que l’internet soit un lieu refuge pour ceux qui souhaitent s’affranchir des lois et du minimum de règles qu’impose la vie en société ? Personne.
Mais comme souvent avec les projets du gouvernement actuel, y compris lorsqu’il arrive que les intentions soient bonnes, la mise en oeuvre est calamiteuse ! Et c’est là que Jacques Attali se montre un artificier hors pair !
Premier temps de la démonstration : une loi pour protéger la création? Cette assertion est scandaleuse !
Non une loi ridiculeusement inadaptée et donc inefficace sur ce point démontre l’ancien conseiller de François Mitterand. Avec justesse il appuie sur les travers de cette loi pourtant si souvent (voir ici ou là par exemple) mis en avant et jamais corrigés : ringarde au point d’être en grande partie dépassée avant d’être appliquée, imparfaite et contournable du point de vue des technologies, absurde en punissant toute une famille pour le forfait d’un des enfants… Et l’on pourrait ajouter son essence bureaucratique, son coût de mise en oeuvre etc….
Non, une loi scandaleuse car sous des apparences de soutien à la création elle est plus là pour « protéger les marchands contre les créateurs ». Même si le rôle des majors de l’industrie de l’entertainment dans le procès de marchandisation et d’appauvrissement de l’offre culturelle mérite comme tout procès d’être conduit à charge et à décharge, l’argument est choc est essentiel !!!! En effet, pourquoi faudrait t’il utiliser cette médecine parallèle aux méthodes plus que douteuses de l’arbitraire « policier » sur l’internet pour guérir un mal certes profond dont les causes sont loin d’être limitées au piratage numérique des oeuvres ? N’est-il pas plus judicieux de penser que cette ordonnance confonds les symptômes et le mal ? Un simple constat permet de le dire : il suffit de regarder ce qu’il en est de la « démocratisation » des pratiques culturelles !!!! Qui profite de la culture en général et des oeuvres ou création dites « difficiles » en particulier ? Sûrement pas celles et ceux qui seront privés des bribes de culture auquel internet leur permet l’accès ! Tout en clamant évidemment que les « objets culturels » ne sont pas des marchandises, ne convient-il pas de remarquer avec les historiens (voir le très instructif dossier de la Revue d’histoire du XIXème sciècle : L’ère de la culture marchandise par Dominique Kalifa) combien les difficultés de l’offre culturelle et donc des créateurs est plus liée à une incapacité des responsables (ou élites) de « penser le monde pour le plus grand nombre »? Et ces études des historiens d’indiquer que « l’ampleur des inégalités sociales et le refus de considérer les « classes inférieures » comme l’acteur essentiel de la dynamique culturelle interdisant l’émergence d’un grand marché de la consommation capable d’y répondre ». Aussi , comme le suggère Jacques Attali, Messieurs les marchands, si au lieu de protéger vos profits vous investissiez davantage dans le soutien du spectacle vivant, notamment sur la scène comme le suggérait récemment notre ami sur ce site, vous n’auriez pas besoin de ligne Maginot pour paradoxalement vous protéger de la demande de culture !!! Victor Hugo réveille toi ils sont devenus fous !
Au MoDem notamment nous devons réfléchir pour ce secteur comme pour d’autre à l’émergence d’un droit économique basé sur le dialogue et le contrat (multipartite si nécessaire) pour servir de guide à certains acteurs économiques plus obnubilés par les résultats financiers qu’habiles pour inventer les fameux business models permettant de rendre cette demande de culture « gratuite » en culture « payée »… Est-t-il plus difficile de faire passer le message de mettre la main au porte monnaie pour de la « sous-culture » que pour rémunérer des créateurs talentueux ? Si oui, il est urgent de réfléchir davantage au constat des historiens, les siècles passent les problèmes demeurent !
Deuxième temps de la démonstration : une loi pour « moraliser » l’usage d’internet? Cette assertion est ridicule !
Non, la répression notamment de la jeunesse et qui plus est par la privation n’a jamais tenu lieu de meilleure voie pour l’éducation à la responsabilité et donc à la liberté!
Il n’est point nécessaire de revenir sur le fait qu’un démocrate du MoDem ne peut que prendre fait et cause pour la protection des oeuvres et la juste rémunération des créateurs et de tous ceux qui travaillent dans les secteurs concernés contre les dérives de ce que les historiens sus-cités appellaient déjà pour la fin du XIXème sciècle « les nouveaux usages sociaux du temps et de la consommation culturelle ».
Au MoDem, espérant que le civisme et le souci du bien commun comme de l’ouverture à l’autre, va croissant avec la diffusion de la culture qu’elle soit ou non « populaire », cela serait se tirer une balle dans le pied que de négliger l’enjeu de protéger les créateurs. Ceci passe notamment par l’incitation à ce que le public leur manifeste reconnaissance (en allant au spectacle, en téléchargeant légalement des oeuvres, en soutenant et financement des lieux de culture comme les cafés ou restaurants présentant des artistes,…).
Ceci étant dit, la stigmatisation, la répression, et qui plus est du fait des limites techniques à tort et à travers, est-elle susceptible de faire progresser la conscience parmi l’écrasante majorité des « consommateurs libres » de la culture, que l’artiste ne vit pas que d’air pur et d’eau fraiche ?
Non parce que même dite graduée la riposte (étymologie = répondre) n’est pas une réponse adaptée à la menace posée par les vrais délinquants du net et surtout une dangereuse menace pour les libertés du plus grand nombre.
A cause sans doute en partie à cause de ce mal profond de la défiance qui sévit dans notre pays, les lois de notre pays sont truffées d’exemples de ce genre où pour punir quelques réfractaires aux règles du « vouloir vivre-ensemble » ou délinquants forcenés, on s’attaque avec la finesse et un arsenal d’armes relevant de l’artillerie lourde à la vie plus ou moins paisible de citoyens dont la malhonneteté reste à démontrer !
Le résultat est pourtant très souvent le même, surtout lorsqu’il s’agit de délinquants économiques bien renseignés sur les failles du système ou les faiblesses potentielles du dispositif répressif, le menu fretin est pris dans les filets et les gros poissons y échappent…. Il serait loisible d’en sourire si en la matière vu les difficultés techniques des contrôles et la perversité des vrais délinquants, la nasse ne se referme trop souvent sur des innocents …
Et ceci est d’autant plus déplorable que vu le temps qu’il sera nécessaire pour construire et mettre en place l’usine à gaz que constitue l’HADOPI, il y a fort à parier que l’on sera très loin de la riposte selon la première définition du Littré : « Réponse vive et prompte pour repousser quelque raillerie ou quelque attaque. »
Merci d’attirer l’attention sur ce billet de Jacques Attali, qui me semble très clair et difficilement réfutable !